Gaston de Pawlowski - "Voyage au pays de la quatrième dimension", 1923, éd. Denoël - présence du futur.
XXIII
LA LÉVITATION UNIVERSELLE
Ce ne fut guère qu'après le XXème siècle que l'homme commença à dominer la nature et à commander réellement le mouvement de l'Univers. Jusque-là, il n'avait guère fait de progrès et c'était à peine si on pouvait établir des différences entre l'homme des cavernes et celui qui vivait, ignorant tout de lui-même et du Léviathan qui l'entourait, au début du XXème siècle.
IL suffit de rappeler, par exemple, la stupidité et l'incompréhension générales que rencontra le retour périodique de la comète de Halley en 1910. Les hommes de ce temps-là attachaient moins d'importance peut-être à cet événement astronomique que ne l'eussent fait des pâtres chaldéens vivant quelques milliers d'années avant eux. Aucune conclusion scientifique ne fut tirée de cette rencontre importante ; personne, à plus forte raison, ne songea à utiliser pratiquement, dans un but industriel ou scientifique, le providentiel passage de l'astre errant.
Et cependant, les hommes d'alors n'avaient point l'excuse d'ignorer la radioactivité et cela seul eût dû les mettre sur la voie des découvertes merveilleuses qui devaient suivre quelques années plus tard.
Lorsque l'on compare cette indifférence extraordinaire à l'activité effrénée qui régna sur la terre lorsque l'on entreprit la capture de la comète, on demeure véritablement confondu en songeant au pas gigantesque fait par l'humanité en ce court espace de temps. Ce pas formidable, il faut bien le reconnaître, fut entièrement dû à la découverte sensationnelle des lois générales de la lévitation universelle qui, complétant celles de la gravitation, seules connues jusqu'alors, expliquèrent le mouvement général de l'Univers.
Ce fut, en somme, la révélation définitive des deux forces antagonistes d'attraction et de répulsion, d'association et de dissociation, des deux énergies contraires dont dépendent l'apparition et la disparition des mondes, c'est-à-dire de la matière.
Comment ne s'était-on pas inquiété plus tôt de la nécessité de ce contraire? On peut se le demander avec étonnement.
Kepler seul semblait s'être préoccupé des lois de l'énergie, mais c'était avec l'indifférence véritablement la plus surprenante que Laplace s'était empressé de laisser entièrement cette question de côté. La loi de Newton suffisait à tout expliquer. De même que les religions anciennes supposaient, à l'origine du monde, un deus ex machina, chargé de donné l'impulsion primitive à la création, de même les physiciens s'étaient empressés d'admettre comme un axiome indémontrable l'énergie de la matière, le mouvement primitif et rectiligne des nébuleuses.
Ce point de départ une fois admis sans discussion, la gravitation universelle suffisait à rendre compte de tout le reste pour la formation des mondes. La nébuleuse primitive, agitée d'un mouvement de rotation, détachait successivement des anneaux sous l'influence de la force centrifuge, ces anneaux se rompaient comme des anneaux de fumée, et, sous l'influence de l'attraction, se ccondensaient en sphères formant des planètes. Lorsque le noyau central était de dimensions suffisamment restreintes pour ne point détacher de nouvel anneau, il se condensait à son tour en soleil central.
Tout cela était fort exact, mais personne ne songeait à se demander un instant d'où venait cette force centrifuge qui formait ainsi chaque système solaire et qui, composant ensuite avec l'attraction, permettait à chaque planète de décrire régulièrement son ellipse autour du soleil central.
Lorsque l'on connut définitivement la structure et les lois du petit système solaire complet qu'est l'atome, il fut facile de résoudre ce problème et d'expliquer clairement le gigantesque univers par l'univers microscopique. Les comètes elles-mêmes, d'une matière souvent moins dense que le vide relatif d'une machine pneumatique, ne furent plus que des sortes de particules alpha traversant les vides interplanétaires immenses de l'atome-univers entre le noyau-soleil dont l'hydrogène se dissocie et les électrons planètes à orbites fixes qui gravitent autour de lui.
On ne songea plus dès lors qu'à utiliser la force rectiligne formidable que possédaient les comètes à l'exemple des nébuleuses primitives.
Du jour, en effet où l'on avait commencé à dissocier la matière terrestre dans de grandes proportions, pour en extraire l'énergie utile, on avait remarqué, avec stupéfaction, une légère augmentation des jours, puis de l'année, c'est à dire un léger ralentissement de la terre autour du soleil. Ce ralentissement, dû à la dissipation d'une partie de notre force centrifuge, n'avait pas été tout d'abord suffisamment remarqué. Par compensation, en effet l'attraction s'était fait sentir et avait, proportionnellement rapproché la terre du soleil, rétablissant ainsi, à peu de chose près, la longueur de l'année.
Il n'était pas moins urgent de réparer autant que possible ces pertes d'énergie centrifuge et l'on songea tout aussitôt à capter la force radiante des comètes. Ce fut le triomphe de la science nouvelle que de dériver bientôt une partie de l'énergie de la comète de Halley ; ce fut, à proprement parler, je le répète, le premier acte de royauté véritable que l'homme exerça sur l'Univers.
Il y eut même, comme toujours, à ce moment là, des excès vite réprimés. Dans la joie du triomphe, on alla jusqu'à utiliser toute cette force centrifuge, nouvellement emmagasinée, et on s'amusa, par pur orgueil, à augmenter dans des proportions considérables la vitesse de rotation de la terre : les journées ne furent que de quelques heures ; jusqu'au jour où, la vitesse de rotation ayant été de dix-sept fois la vitesse primitive, on télégraphia avec effroi, de l'Équateur, que les hommes et les choses n'adhéraient plus à la surface du sol. On en revint alors, progressivement, à la vitesse ancienne, et l'on se contenta d'emmagasiner, comme avant, les forces nouvelles pour les seuls besoins de l'industrie sans plus songer à la direction de la terre un moment entrevue.